vendredi 19 mars 2010

Marie-Dominique Arrighi


C'était le billet que je redoutais de lire, chaque jour, depuis deux semaines.

Finalement, ce n'est pas un billet mais un article sur le site de Libération qui m'a appris, ce matin, la mort de Marie-Dominique Arrighi.

Journaliste dans le quotidien depuis une quinzaine d'années, elle tenait un blog depuis la récidive d'un (de son ?) cancer du sein en septembre 2009. Elle postait une à deux fois par semaine en racontant sa maladie. Un regard caustique sur son parcours, l'hôpital, la douleur des soins, ses relations avec sa famille.

J'ai découvert son blog voici quatre mois environ. De suite, j'ai été emballé par son style sans concession, sa volonté de dire ce qu'elle traversait. Son élégance dans la narration de sa souffrance. J'y ai perçu un travail lucide de journaliste de sa maladie. A travers les mots, j'avais l'impression de la suivre dans ce qu'elle vivait.

Sa relation avec sa maladie était compliquée, imbriquée dans des luttes intimes. Des trucs remontant à l'enfance, aussi. Elle s'en était expliqué dans des billets, au début du blog. J'ai dit "journaliste de sa maladie", en fait, je trouve qu'on approchait les rives de la littérature.


Ces dernières semaines, les billets se sont espacés. Jusqu'au dernier qu'elle n'écrira jamais. Evidemment.


Alors pourquoi faire un texte bien banal sur cette personne que je ne connaissais qu'à travers son écriture ?

Parce que, en y réfléchissant bien, ce blog m'a ramené à mon rapport à l'intime à travers l'écriture.

La découverte du blog de MDA s'est faite au début où je travaillais sur mon livre. Je lisais ses billets le matin, avant de me mettre au boulot. En refermant son blog, j'étais, selon les jours, plongé dans l'abattement, la joie ou la rêverie (pas toujours en fonction de son état de santé, d'ailleurs)... C'est peu de dire que ses mots me remuaient...

Depuis que j'écris chaque jour, je ne lis quasiment plus de livre. Je ne peux pas. Que de l'actualité, les journaux et les blogs. Et des bouquins sur les techniques de l'écriture (qui améliorent mon anglais... Youpi!!).


Au fond, qu'allais-je chercher dans ce blog?
(Dialogue silencieux).

- Qu'est-ce que tu veux nous dire depuis le début de ton billet avec toutes tes phrases remâchées dix fois ?
- Je ne sais pas vraiment. D'accord, je n'y arrive pas, mais j'essaie de dire la tristesse que je ressens. Une profonde tristesse. De celles où tu ne peux même pas pleurer.
- Allez, encore tes clichés... Réserve ça pour ton bouquin.
- Ce n'est pas le sujet du jour.
- Je crois bien que si, justement, mais passons. On en parlera plus tard...
- Je me demande : qu'est-ce qui fait que je ressens ça ?
- C'est du voyeurisme, c'est tout.
- Pourquoi tu dis ça ?
- Arrête ton char. Désolé d'être aussi cru avec toi mais c'est pas toi qui mets Titanic numéro un de tes films de tous les temps ?
- C'est pour provoquer. Tu me connais, je suis taquin sur les bords.
- C'est ça. Tu me prends pour qui ? Tu oublies qu'on est deux dans cette pièce. Je te supportes au quotidien, mon garçon. Le rapport avec Titanic, il est simple. En gros, tu dis que tu aimes ce film -à part ton côté midinette- parce que tu trouves que c'est un résumé de la magie du cinéma. Tu sais que le héros va mourir dès le début mais tu peux s'empêcher d'espérer qu'il va vivre. Et c'est pour ça que tu vibres lorsqu'il risque de se noyer au milieu du film. Pour mieux pleurer à la fin.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Tout simplement, que le blog de MDA, c'était un mélo. Tu savais qu'elle allait mourir, non ?
- Pas avant les dernières semaines, non. Ce qui m'intéressait... C'était la manière dont elle suivait ses soins, ce qu'elle ressentait. Donc, ton analogie avec le Titanic, excuse-moi, mais elle tombe à l'eau.
- Si je te suis bien, tu aimais le côté reportage ?
- Oui, évidemment. Je ne sais pas comment ça se passe dans un hôpital, les séances de chimiothérapie, la douleur. Mais pas seulement. Je pourrais te dire que je me projetais, évidemment. Et si ça m'arrivait ou à un proche ? Elle me racontait comment ça se passait.
- Pourtant, tu avais déjà lu des bouquins sur les soins palliatifs, l'accompagnement des mourants.
- Ca n'a rien à voir, voyons. Là, c'est elle qui détaillait son expérience. Ca pouvait être extrêmement brutal, d'ailleurs, elle ne s'apitoyait pas du tout.
- Et tu en redemandais, c'est ça, comme dans les films violents ?
- Attends, je n'avais pas fini ma phrase. Quand j'ai dit "extrêmement brutal", je voulais ajouter, "très doux aussi".
- Comment ça doux ? Arrête avec tes paradoxes. On n'est pas sur ton blog, là.
- Doux car MDA a écrit... Ca devait être un mois avant de mourir... Elle a écrit qu'elle acceptait sa fin. Elle acceptait d'être prise en charge, d'être aidée, elle qui se définissait en orgueilleuse indépendante. Enfin, c'est ce que j'ai compris. C'est pour ça que je parle de douceur. Je peux dire que j'ai assisté à la tranformation de quelqu'un.
- C'est du reality show sous une autre forme, alors ?
- Tu n'y es pas. L'élément central, c'était l'écriture. Par les mots, elle mettait une distance entre elle et ses sentiments, même si elle n'hésitait pas à les exprimer. Pffouh... Je dis des banalités absolues, des écrivains ont dit ça bien mieux.
- Bon, c'est fini ces commentaires in petto ! Tu m'as promis d'être franc avant de commencer, quite à être con. C'est le jeu. Et pour paraphraser une citation de toi que je n'ai jamais comprise : "la franchise n'exclut pas la vérité". Où j'en étais, moi ? Oui... A propos de commentaires, tu les lisais sur son blog ?
- Oui. Toujours. Alors que j'ai arrêté de lire les commentaires sous les articles, tellement je les trouve bas du front et à côté de la plaque, pour la plupart...
- Attends, tu ne vas pas me dire que tous les commentaires étaient des monuments de sagesse ? Il y avait bien les éternels "courage, on pense à toi, prends soin de toi" ?
- Bien sûr... Au début, j'ai été agacé. Mais au bout de quelques jours, je les lisais toujours. Comment dire ? C'est très banal de dire ça mais, pour une fois, j'ai fait preuve d'empathie.
- Envers qui ? Envers MDA ?
- Ou envers moi. Pour te la faire rapide, parce que je sens que tu t'impatientes... J'avais laissé mes habits de lumière et d'ironie à l'entrée. J'avais l'impression de faire partie d'une communauté, avec les gens qui lisaient le blog, qui compatissent. Je l'admirais d'affronter comme ça sa maladie. Tu te rends compte, je ne connaissais pas cette femme et j'ai failli envoyer un message pour dire "bon courage".
- Comme les bouquets de fleurs déposés pour Lady Di ou les lâchers de ballons contre le racisme ?
- Ca n'a rien à voir. Non, c'était une petite communauté. Bon, ça m'a fait être humain. Pour lancer les gros mots, j'ai assisté en direct à la mort d'un écrivain. C'est peut-être ça qui me rend le plus triste.
- Je ne comprends pas très bien. Je pense que c'est le côté "en direct live de la cancéreuse qui va mourir" qui t'a choqué. Sinon, désolé d'être franc, mais c'est une mort de blogueuse que tu ne connais pas comme il pourrait en avoir d'autres parmi celles et ceux que tu lis?
- Justement, non. C'est ce que j'essaie de te dire depuis le début. Il faudra encore que j'y réfléchisse. C'est à travers les mots, son langage, sa vision du monde, que j'ai l'impression d'avoir grandi. Ses mots ont sublimé son expérience individuelle pour me toucher, non pas en tant que Yibus... Mais en tant qu'être humain. C'est la puissance des mots. J'ai vraiment du mal à expliquer ça sans tomber dans le spirituel ou ce genre de choses.
- Tu m'as dit une fois que tu vibrais quand tu voyais un sportif faire un geste magnifique ? Que tu te rapprochais d'un truc que tu appelais la beauté ? Que ça te rappelait ton humanité ? C'est la même sensation ?
- Pas tout à fait. On en reparlera plus tard. Mais là, je te laisse, je vais aller bosser.
- Ah, un dernier truc. Ca te fait peur la mort ?
- Elle est vraiment débile ta question.


Pierre Marcelle, son collègue et ami, a fait son portrait.



Un commentateur a posté ce poème.


Petit mort pour rire

Va vite, léger peigneur de comètes !
Les herbes au vent seront tes cheveux ;
De ton œil béant jailliront les feux
Follets, prisonniers dans les pauvres têtes…
*
Les fleurs de tombeau qu’on nomme Amourettes
Foisonneront plein ton rire terreux…
Et les myosotis, ces fleurs d’oubliettes…
*
Ne fais pas le lourd : cercueils de poètes
Pour les croque-morts sont de simples jeux,
Boîtes à violon qui sonnent le creux…
Ils te croiront morts – Les bourgeois sont bêtes –
Va vite, léger peigneur de comètes !

Tristan Corbière

5 commentaires:

Bob a dit…

Et ben.... je crois que c'est ton plus long billet. En plein pendant ta semaine de la femme, un hommage à une sacrée "bonne femme"...
Son blog s'est arrêté en même temps qu'elle, et si tu y étais assidu, ça va faire un vide. Finalement, elle a partagé sa maladie, sa lutte, et du coup, elle fait partager son absence.

Vite un billet drôle, STP!

Yibus a dit…

@ homéo : Ok.

@ Bob : tiens, pour te faire plaisir, un billet d'une hilarité folle... Il parle des handicapés (!!).

Anonyme a dit…

tu sais quoi ? ton dialogue intérieur est plus que touchant... Yib', t'es vraiment un gars incroyable.

Yibus a dit…

@ plume vive : je dirais même plus ; incroyable mais vrai (thanks).

Annlaurie a dit…

Merci pour votre article, très intéressante cette introspection en forme de dialogue, avec des termes très justes pour parler de MDA.