mardi 20 octobre 2009

La chute de la maison burgonde


Je ne sais
comment vous raconter cela. D'ordinaire les textes sont un poil travaillés à partir d'un indice qui saute à l'œil. Sitôt l'amorce enclenchée, le fil est tiré, tranquilou. Sauf que là, ça ne vient pas.

Par où commencer l'histoire de ce dimanche après-midi dans un stade de football américain ? Comment parler de ce cadeau d'anniversaire pour les 40 ans, de ces trois heures passées dans un froid relatif, un ennui moyen, une nourriture de stade, de la première fois où deux gens se sont retrouvés assis derrière les poteaux, entourés de fans passionnés, déçus, trompés ? Comment dire l'étrange impression saisissant deux étrangers regardant un sport-spectacle américain ? Parce qu'il est aussi question de ça, hein, pas que mais quand même.

1 ) En partant de la fin, de la désespérante défaite d'une équipe qui plonge au tréfonds de la médiocrité, puis en remontant le cours de l'après-midi pour dire que tout y était inscrit ? (dans le genre déterministe)

2 ) En racontant le match en plongée parmi les supporters ? (reportage à vif)

3) En disant à quel point ce jeu haché, tranché même, cet hymne au taylorisme est loin de mes standards sportifs de fluidité et d'harmonie ? (à la rubrique culture)


Bah, après avoir hésité, le tenancier a décidé à l'unanimité qu'il allait tout faire. Ce sera fromage et cheesecake, hot-dog ET frites. Et puis vous ferez le tri, en lecteurs avertis de l'azerty.


1) Tout d'abord, c'est le stade vers lequel on monte.


A une vingtaine de kilomètres de Washington, le FedEx field peut contenir jusqu'à 90 000 personnes. Mais les rangs sont clairsemés ce dimanche 18 octobre où les Washington Redskins reçoivent les Kansas city Chiefs. L'heure est grave. Une défaite de plus et c'est la goutte de trop qui déborde sur le deuxième club le plus riche de la ligue.

Bien avant le coup d'envoi à 13h, les passionnés se sont regroupés sur les parkings les plus proches du stade. Ce sont les abonnés, ceux du peuple, qui paient jusqu'à 9000 dollars un siège pour la saison. Ils ont monté les tentes, sorti les barbecues et les glacières et refont le monde de la balle ovale locale, bref du football.


Les colonnes de fidèles progressent, sans se presser, dans un bruissement de couleurs du club : l'or et le bordeaux (burgondy and gold). Nous sommes quasiment les seuls habillés en civil.



Au coup de sifflet final, trois heures plus tard, à peine 20 000 personnes sont restées dans le stade. Les visiteurs ont gagné sur un score étriqué. Aucun touchdown. Que des coups de pied. Un pauvre spectacle, une débâcle qui sent son déjà-vu. C'est la troisième équipe sans aucune victoire depuis le début de la saison à battre les Redskins.

(Petite blague anti-sportive : en multipliant le nombre de personnes manquantes entre la photo 1 et la photo 3 par la température en degrés Farenheit de ce dimanche, calculez le salaire annuel d'un joueur de football américain).




Mais surtout, cette quatrième défaite augure d'une saison en enfer pour le club. Un entraîneur mis sur la touche mais pas viré, un président -Daniel Snyder, milliardaire dans la communication- qui ne connaît rien au jeu et aligne des chèques pour faire venir des stars. Il ignore que les zéros des salaires ne font pas une équipe. En douze ans, trois maigres apparitions aux play-offs ont été éclipsées par des mélodrames à répétition.

Certes, c'est le président qui paie, qui décide mais il gère son club par à-coups, par crises. Il ne se sent comptable de rien auprès des fans qui soutiennent le club de génération en génération. Peut-on aller encore plus bas ? Désormais, le pire est presque certain à DC, une équipe qui promettait monts et merveilles avant la saison. Sur le papier. Bienvenue dans l'apocalypse selon Saint Daniel.

2 ) Nous sommes placés derrière les poteaux. Une place formidable, malgré les apparences, puisque nous ne connaissons rien au football. On vivra la rencontre de l'intérieur. La vue est dégagée, 7°C, pas de pluie annoncée, je mets les gants comme en attendant le bus et je m'enfonce dans le siège en plastique.


Le jeu est décousu. Normal, c'est la règle. Parfois, on a eu droit à ce genre de petite course (c'est le rouge qui a le ballon).


Mais la plupart du temps, ce sont des empilements d'où sort la vérité toute nue (la balle).


Durant les longues pauses, nous regardons les vendeurs de bière (light) et de chocolat chaud monter et descendre les marches.

Le monsieur à casquette et maillot rouge est un supporter de Kansas city. Un doux et tranquille fan qui papotera avec son voisin tout le match, manquant même de le réconforter vers la fin.


Trois hommes
d'une soixantaine d'années sont assis derrière nous. Ils semblent occuper le même siège depuis des décennies. Leur air entendu me laisse penser qu'ils ont connu les trois victoires en championnats des années 80. Au fur et à mesure des minutes, leurs soupirs se font plus longs.

"Allez-y, bande d'idiots, commencez à jouer au football", criera l'un d'eux une dizaine de fois. Il y aura même quelques "f... guys" et "s... guys" de lancés.

Un peu avant la mi-temps, on sent un mouvement de foule au-dessus de nous. Des encouragements fusent. "Chief, chef", entend-on crier. La mascotte non officielle réchauffe les troupes maigrelettes.


Par deux fois, "Hail to the Redskins" (loués soient les Redskins), l'hymne du club sera entonné et sortira les spectateurs de leur léthargie.



Pendant ce temps, assis à droite de madame, un homme bien emmitouflé dans une doudoune, casquette bien enfoncée sur la tête, a l'œil collé aux jumelles.



A cinq minutes de la fin du match, un petit groupe de jeunes hommes demande le départ du propriétaire du club. "Snyder, dehors, vends le club".
Personne ne jettera son maillot de dépit. Non, ce qu'ils veulent c'est le départ de l'homme d'affaires qui a déshonoré ce maillot.

Un coup d'œil à droite. L'homme aux jumelles est toujours fidèle au poste.



Devant nous, gorgés d'une bonne poignée de bières avalées au stade (8 dollars pièce), deux gars -supporters dépités des Redskins- manquent de se mettre dessus. Sous le regard du frère de l'un d'entre eux, un gamin de treize ans.

A la fin du match, un silence inhabituel envahit le stade. "Je n'avais jamais vu ça", écrit ce matin un journaliste du Washington Post. Plus de soutien, pas de révolte, les spectateurs quittent les lieux en file indienne. Certains se frottent les yeux.


3) Un sport de costauds, un jeu d'hommes.

Dans ce jeu, les kilos parlent et ils ont des choses à dire.


Dès qu'un joueur fait tomber son opposant (ou mieux encore, celui qui lance la balle, le quaterback), il entame une petite danse, gonfle les biceps, joue son Schwarzenegger. Il est heureux, cela se sent, cela se voit. Le bonheur de tous ces gens est à son comble quand ses coéquipiers viennent cordialement frapper leur casque contre le sien en signe de gratitude (contrairement aux cerfs qui se défient en cognant leurs bois).

Bon, j'ai l'air de me moquer mais les moments que je préfère sont ceux où les petites souris (les joueurs de moins d'1,80 mètre et de 90 kilos) se faufilent entre les costauds qui se tiennent. Enfin, l'action risque de dépasser 4 secondes.

On va dire que j'exagère, que tout est tactique... Je sais bien qu'il faut trois ou quatre paire d'yeux -ou bien être américain- pour déchiffrer les courses des uns et des autres dans tous les sens... Or, j'ai des lunettes et mes deux ans de présence effective sont insuffisants pour assimiler les subtilités du basket, du hockey et du football local (le baseball, j'ai abandonné).

Ça n'a aucun rapport, mais à la mi-temps, nous avons droit à la présentation d'un général au milieu du terrain, "a true american heroe".

Suit un morceau joué par l'orchestre des Marines (comme dit la pub... "The few, the proud, the marines"). Une sorte d'espagnolade poliment applaudie... Quand, soudain, venant de nulle part, surgissent cinq Marines et un drapeau qui viennent se planter au milieu du terrain... Et reproduisent la célèbre photo D'Iwo Jima.

Le stade gronde de fierté.

Dix minutes plus tard, sur les écrans défile le message enregistré d'un soldat en Irak. Re-applaudissements nourris.

Peut-être que le sport n°1 américain, celui qui se joue partout dans le monde (à l'arrière des combats, on voit les soldats se lancer des ballons), participe de cette alchimie entre la nation, sa fierté, ses muscles, ses armes, sa liberté, que sais-je encore...

En tout cas, à travers la quantité de testostérone déversée, j'y vois l'énergie brute qui nourrit les Américains... Des batailles (gagnées ou perdues), sportives ou à balles réelles, qui seront mises en scène à l'écran comme autant d'épopées.

J'ai également senti que le football américain, plus que d'autres activités, contient toutes les qualités d'organisation, cette qualité primordiale des États-Unis, une des racines de la construction de ce pays. A chacun son boulot ("good job girls", dit le speaker aux cheeleaders) et les vaches seront bien gardées. C'est la logistique faite sport.

Au fond, il faisait frais, le spectacle était plus dans les tribunes que sur le terrain. La défaite minait les regards. Mais y-a-t-il plus beau cadeau d'anniversaire que celui qui vous plonge, d'un coup d'un seul, au cœur de l'Amérique ?


La chanson du jour : maintenant que vous connaissez bien les paroles, voici différentes versions de "Hail to the Redskins" (guitare, symphonique, indien...).




Et la liste des " défaites sportives pénibles"
- Séville 1982 (la seule date suffit à me donner des spasmes).
- Dans les années 90, l'OM perd en demi-finale à Belgrade, je crois (en tout cas, je me souviens d'une soirée glauque).
- Henri Lecomte en finale de Roland-Garros ou Wimbledon (toujours l'impression que ce joueur n'est pas allé au bout de son potentiel... Frustrant).

(Maintenant, à vous de jouer)

11 commentaires:

Nath a dit…

C'est super de vous imaginer Madame et toi au milieu de tout ca... Bien d'accord avec toi, faut etre americain pour comprendre, comme faut etre Francais et Marseillais pour soutenir l'OM... aie pas la tete !
Defaite ? les cardinals de Phoenix en finale du championat l'an dernier. Ils melangeais de depit le fondant au chocolat et les frites... Pfffffff des beotiens ! Bises a tous les 5.

Yibus a dit…

C'est vrai ça... Une de mes plaques d'immatriculation préférées avec le cardinal de Virginie... Bon séjour en France.

la Mère Castor a dit…

Le sport ? Heu.

Woodchuck a dit…

Bien trouve l'analogie Foot US/ Taylorisme. Tres beau texte, chapeau Yibus !
A mon avis tu n'echapperas pas a un match de baseball avec les Nationals (presque aussi bon que les Redskins) pour tes 41 ans ;D

Yibus a dit…

@ la mère Castor : mais pas que du sport, de la sociologie aussi (des fois...).

@ Woodchuck : thanks pal. Bon, je vais commencer par essayer de tenir un match entier devant la télé (et lire "baseball for dummies").

Homéo a dit…

Merci pour ta plongée en Amérique , c'était "dépaysant";)
Sinon 16 mars 1977 Saint Etienne Liverpool en finale de la coupe des clubs champion...........putain les poteaux carrés !!!

Yibus a dit…

@ Homéo ; je ne l'avais point vu mais me souviens de ce qui fut dit (les fameux poteaux) et de la nostalgie afférente jusqu'à la victoire de l'OM en 93. L'honneur était lavé.

ariana lamento a dit…

c'est un article vraiment bien ecrit sur un sport dont tu n'es pas un fan absolu, on dirait.

Tu devrais rencontrer M Lamento, il te redonnerait de quoi t'extasier.

Mais c'est vrai que c'est d'une lenteur absolue, avec tous ces changements de joueurs, etc.

Tu as bu combien de bières?

Anonyme a dit…

France-Italie en 2000... et non, j'étais pas pour la France, si tu en doutais.

Rigolo l'hymne, mais un peu fouillis (comme tous en fait, quand on les connait pas)

Yibus a dit…

@ ariana : thanks... J'attends volontiers ses lumières... Et aucune bière descendue (du Coca light pour faire glisser les frites avec les fingers de poulet).

@ Plume vive : oh, t'as dû souffrir alors (cette merveille de but de Wiltord et cette reprise sublime de Trézéguet... euh, bon, je me calme)...

Et attends, dans l'hymne, ils disent "Old DC", avant ils avaient mis "old dixie" (hum hum, les confédérés, tout ça, c'est plutôt mal vu par ici).

Flo a dit…

Sans vouloir te provoquer des spasmes, je pars chercher un verre d'eau, je reviens, et Battiston, notre cher Messin, est par terre, dans les pommes...
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