mardi 18 août 2009

En quarantaine


Mes a
mis, je viens à peine de rejoindre une autre pièce de la maison, retrouvant une troupe assez fournie et laissant -encore- quelques égarés dans le boudoir derrière moi et j'en suis tout chose.

Pour seul billet d'entrée, j'ai présenté une pièce d'identité. "Vous avez la quarantaine, bon pour le service", a dit le gardien. Au fur et à mesure que je marchais dans la vaste salle, une foultitude de petits bonshommes sont apparus à mes côtés.

Le premier était une chose rougeaude, un bracelet bleu au poignet sur lequel était inscrit : 17 août 1969. Une pièce de 3,5 kg (beau morceau, dit-on), pleine de rougeurs et qui braillait. Je me suis rapidement éloigné. Il n'avait pas beaucoup de conversation.

Le suivant avait cinq ans, il mâchouillait un mouchoir tout mouillé et rappelait avoir pleuré, sur le canapé du salon de la nourrice qui l'avait laissé seul dans l'appartement le jour de l'enterrement de Pompidou.

Le petit bonhomme de six ans est assis, sérieux comme un pape, devant une télé. Il semble s'habituer à la tête de Giscard, surtout lorsque celui-ci nomme Chirac premier ministre.

Sur un fauteuil, son voisin, à peine plus vieux, tend les visage vers l'écran sans bien comprendre. On y parle d'économie mais il rigole lors des week-ends chargés de voir la tête de Bison futé). La voix de Mourousi le stimule comme les chiffres et les lettres, c'est l'heure de la soupe chez mamie. On l'initie au Scrabble.

Un gamin de huit ans tire sur ma chemise et commence à raconter ses après-midi de vacances chez sa grand-mère, entre les Playmobil à panser de gaze (il s'intéresse à la guerre, il est Lorrain et puis son grand-père en est revenu si différent) et la découverte d'une immense maison. Surtout l'atelier sombre où l'homme âgé, plombier émérite, entrepose ses clefs et ses tuyaux.

Attiré par un coin de la pièce plus sombre, je m'en approche. Je sens l'odeur de craie d'une salle de classe. Une maîtresse de CM1, madame Chrétien, y interpelle un élève qui porte une aube d'enfant de choeur. Il récite qu'à l'école comme à l'église, il s'efforce à la discipline. Il voulait être saint (et confessait le pêché d'orgueil tous les samedis car il fallait bien se repentir de quelque chose), puis évêque (mais il faut se taire et connaître les hommes avant trente ans pour les conseiller). Finalement, même la souffrance avec force stigmates (il a eu sa période Padre Pio et Marthe Robin) ne le tente pas plus que ça.

Soudain, des balles et ballons de toutes sortes traversent la pièce. J'assiste alors à l'épreuve de la sélection des joueurs pour le match de foot de la récréation. Le gamin choisi en dernière position est envoyé comme gardien de but. Je vois ses rêveries comme le match se déroule. Il songe à arrêter le penalty qui le portera au pinacle de l'école. Je lui crie de faire attention à l'attaquant qui déboule. Il ne m'entend pas et le ballon troue ses cages à intervalles réguliers. Dans la foulée, il reçoit un gnon au basket de la part d'un garçon qui mesure douze centimètres de plus que lui.

J'entends des halètements. En me retournant, je surprend deux adolescents qui jouent au tennis sur une rue entre les pavillons. Les lignes tracées à la craie le mercredi après-midi s'effacent sous la pluie fine et régulière du vendredi. En se quittant, ils se promettent d'aller sur un vrai terrain de tennis, un jour.

Je fais quelques pas vers le fond de la salle qui s'éclaire. Des images saccadées défilent.

J'entends d'abord un garçon décider, en écoutant "Couleur menthe à l'eau" dans son bain le samedi soir, qu'il voterait Brice Lalonde à la présidentielle. Un jour de mai, des gens du quartier crient et passent devant sa maison, la rose à la main. Dans le salon familial, tout est calme.

A treize ans, il est gardien dans le club de foot du village. Il arrête le penalty en finale d'une coupe inter-communale. Son équipe remporte le trophée. Le soir, c'est la finale de la coupe de France de foot. Il s'endort heureux. Apaisé, croit-il.

A quatorze ans, il devient arbitre de basket. Siffler n'est pas jouer mais c'est tout de même une activité qui lui permet de traverser des gymnases. L'odeur des planchers, des revêtements de sol et du ballon en cuir l'enivrent. Le "pffouhh" de la balle qui traverse le filet.

De quinze à 18 ans, les jours sont rythmés par les lectures. Il répète à qui veut l'entendre la phrase d'Anaïs Nin : "Les livres sont mes seuls amis". Il veut habiter dans un lieu où les murs disparaissent derrière les livres. Il court les librairies, récupère, collectionne, lit bien moins qu'il n'achète. Il franchit le cap des 1000, puis plus tard, les 2000 et 3000 livres avec fierté. Il ne peut citer aucune phrase de tête. Il appelle cela son impressionnisme.

Entre 17 et 18 ans, il a mal aux genoux, la nuit. Mais c'est pour la bonne cause. Il prend douze centimètres de taille en un an, il commence à se débrouiller en sport. Ce n'est pas trop tôt.

A 18 ans, il fait un premier stage de journaliste à l'agence locale du quotidien régional. Il écrit pour la première fois sur un ordinateur, observe la mise en page. Le lendemain, lorsqu'il découvre l'article imprimé dans le journal, il se rappelle qu'à douze ans, il avait dit, un après-midi, à ses copains de quartier, qu'il serait journaliste. Ils s'étaient moqués. Journaliste à Paris, il avait alors crié.

Le rythme des images s'accélère ensuite. Il y a des rencontres, des films, des attentes la nuit, des envies d'écriture à l'aube, assis sur un transat (resté dehors toute la nuit cet été-là, à Bormes-les-Mimosas, il voulait regarder le temps s'écouler), des mots stupides et durs vers 2h du matin, une écoute sporadique mais toujours amicale de Michel Delpech, la découverte d'un autre appartement que le sien pour cause de cheville foulée, le mélange avec une autre bibliothèque, les voyages et les noms de villages toujours oubliés (parce qu'il y a ce plaisir à écouter la même personne s'en rappeller, elle), l'absence de photos familiales sur les murs, le goût des sorbets à Venise et Rome.

Puis plus aucune image. Je me retourne lentement.

Le sol est recouvert de livres, de milliers de livres. Doucement, les premières pages se soulèvent vers le plafond. En quelques secondes, tous les livres s'élèvent dans la pièce, entre Washington et la Lorraine puis s'enfoncent dans les murs. Deux minutes plus tard, ils ont disparu.

Reste au milieu de la pièce, une pile d'au moins quatre mètres de haut. Des albums photos. Je retire sans difficulté un exemplaire à ma hauteur. Si le compte est bon, il doit y en avoir 35, 7000 photos prises depuis mon mariage. Je me dis qu'il faudrait, un jour, les faire toutes défiler en buvant du café. Un long film de quinze heures.

Sur cette pensée, je me retrouve dans mon salon. Au milieu des rires des amis venus pour une sorte de fête d'anniversaire.

A quarante ans tous secs, ce lundi-là, il y eut une soirée très très bien. Et le garçon de quarante ans se rappellera qu'il n'a jamais bu de champagne aussi doux qu'à ce moment-là.


La chanson du jour : (un peu de musique), "Santa Maria" de Gotan project.



Et la liste des " quarante"
- Ali Baba et les quarante voleurs
- Quarante ans et toujours puceau

(Maintenant, à vous de jouer)

18 commentaires:

Montana a dit…

Eh bien joyeux anniversaire petit Yibus ;))

Combien de photos prévois-tu de plus dans ta pile pour la dizaine qui va suivre ?

Et dans la liste des 40 ans, pour moi ce sera :

Carentan en Basse-Normandie :
http://www.ot-carentan.fr/

C'est Alice ! a dit…

Joyeux anniversaire, mon petit Lorrain exilé !! :)

Nath a dit…

C'est un texte magnifique ! Merci Yibus.

Bon anniversaire...

Lilly a dit…

bon anniversaire!!!

Homéo a dit…

Je te souhaite un très bon anniversaire cher Yibus ;)

Flo a dit…

Bienvenue au club. 40 ans, c'est un cap. J'y suis depuis plusieurs mois, et ca me plait bien. Joyeux anniversaire, et merci pour ce billet tout particulier.

ariana lamento a dit…

toi, tu devrais être journaliste ou écrivain.

Bon anniversaire!

Arty a dit…

Voyons les choses en face : tu n'es plus un perdreau de l'année !

(je sais je suis sympa!)

Mary a dit…

Quoi dire? C'etait vrachement bien... J'espere que la production de la salle de bain aura aussi un gout de "reviens-y".
Et sinon tres tres heureux anniversaire.

Mary a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
pyrrha-Na a dit…

ah mais c'est que j'étais en avance finalement ! re bon anniv' (et hop, 2 ans en 1) !

et donc, t'avais pas d'appareil photo avant ton mariage ?
arf remarque... ça devait être les années 90... mouais... genre la préhistoire...

ce texte me fait penser à "Into the wild", sauf que t'es pas mort, c'est mieux !

tu deviens sage (et vieux), muahahaaa...

JJ a dit…

Quel écrivain! j'étais très ému à cette lecture.
Je peux dire "quarante ans que je te suis dans tes différentes pérégrinations".Les tomates farcies de mamie T... t'ont fait bien grandir!!
Surtout ne change rien continue,fonce et..
Bon anniversaire

Corinne a dit…

Le poulet aux quarante gousses d ail... heureusement tu n es pas flic ! Tres joli texte, merci de partager avec nous et bon anniversaire avec un peu de retard.

livabroad a dit…

lol, on a 15 and d'ecart pil-poil Yibs! je suis aussi née le 17 août ;)

Yibus a dit…

@ tous : merci.

Les Pitous a dit…

J'arrive un peu tard (l'atlantique à traverser), mais de bon coeur : bon anniversaire!

la Mère Castor a dit…

Trop tard mais quand même, bon anniversaire, cher écrivain journaliste. Et des textes comme ça, on en veut bien encore.

Fab-Fab a dit…

t'as plus qu'à mettre à jour ta présentation "en deux mots" avec un beau 40 tout rond! ;-)